Guislaine et Hélyette de Chantérac (rameaux 8A et 8B)
En 1937-1938, les rumeurs de guerre s’amplifiant, les jumelles prennent des cours d’infirmière à la Croix-Rouge de Redon (Ille-et-Vilaine) afin de pouvoir servir comme volontaires si la guerre éclate.
Les infirmières de la Croix-Rouge française portaient à l’époque un voile sur la tête et des robes jusqu’au mollet qui les faisaient ressembler à des religieuses. Les jumelles dessinèrent et réalisèrent elles-mêmes un nouvel uniforme plus pratique, ainsi que de nouveaux insignes, qu’elles portèrent immédiatement. Convoquées à Redon où on leur demanda de quitter leur tenue non conforme à l’institution, elles refusèrent tout net. L’affaire monta jusqu’à la direction parisienne où elles plaidèrent si bien que la Croix-Rouge adopta cet uniforme. Le pantalon ne fut autorisé que dans les années 70.
En septembre 1939, à la déclaration de guerre, elles s’engagent à Rennes dans la Croix-Rouge. Intégrées dans les services de santé de l’armée de terre, elles sont affectées à l’ambulance chirurgicale 412, dirigée par le médecin-colonel Bertrand.
Le service de santé part vers le nord. Jusqu’en juin 40, c’est ‘la drôle de guerre’, Il ne se passe rien, et les jumelles passent l’hiver à faire du patin à glace, près de Ham en Picardie.
En juin 40, les Allemands lancent l’offensive sur la Belgique. L’unité médicale monte au front
Il y a de nombreux morts et blessés. L’ambulance chirurgicale 412 est citée à l’ordre du régiment, pour son comportement exemplaire et courageux en allant, en première ligne, chercher les blessés sous le feu de l’ennemi. Le Général Weygand commandant en chef des armées françaises lui décerne la Croix de Guerre.
L’armée française se replie. A Beauvais, de la colline surplombant la ville, les jumelles voient les Stukas allemands piquer sur les colonnes de militaires et de civils qui fuient vers le sud, dans un désordre indescriptible. La lente marche vers l’arrière se poursuit. Leur colonne médicale passe la Seine à Rouen, prend la direction de Laval puis de Vannes.
Le hasard les fait passer devant La-Boulaye, où la famille qui était sans nouvelles depuis un certain temps les accueille avec joie et soulagement.
Quelques jours plus tard, après l’armistice du 22 juin les jumelles sont démobilisées à Vannes et regagnent La-Boulaye, à 60 km seulement !
Guislaine rencontre Gérard de Vienne, qui venait de rentrer de captivité, l’épouse en juin 1942 et s’installe à Paris. Après le débarquement, jeune mère de deux garçons, elle restera à Paris pendant que Gérard, réengagé, sert sous uniforme américain comme officier de liaison français avec l’armée américaine, avec le grade de lieutenant-colonel. Il restera dans l’armée jusqu’à fin 1945 et s’occupera, après la victoire, du rapatriement des prisonniers de guerre alliés d’Allemagne.
Gérard est décoré de la Croix de Guerre au titre de la campagne 39-40.
Guislaine reçut également en 1999, la Croix du Combattant pour sa participation à cette campagne.
Hélyette repart avec la Croix-Rouge. Au risque de se faire prendre, elle fait passer la ligne de démarcation à des soldats qui fuient la capture, qu’elle cache dans le coffre de la voiture. Par chance on ne le lui fit jamais ouvrir …
En août 1944 elle reprend du service dans un bataillon, nouvellement créé, de conductrices ambulancières dans la première armée française ‘’Rhin et Danube’’. Elle conduisait une énorme ambulance américaine General Motors.
Elle a peu parlé de ‘sa guerre’. Elle avait été très marquée par son arrivée au camp de Ravensbrück, à 80 km au nord de Berlin spécialement réservé aux femmes avec également des enfants et n’aimait surtout pas en parler.
Elle avait toutefois confié quelques souvenirs particulièrement marquants : Avoir plusieurs fois entendu dans la nuit noire, sans phare, entre les lignes françaises et allemandes qui n’étaient jamais bien délimitées, les balles traverser le parebrise ou s’écraser sur les tôles de l’ambulance, ne sachant pas très bien de quel côté venaient les projectiles, se faisant toute petite sous le gros volant, en priant le ciel ; Avoir dû enclencher la marche arrière avant que l’ennemi ait le temps de tirer, alors qu’elle allait chercher un blessé dans un village libéré, que l’armée allemande avait entretemps repris ; Avoir perdu deux sœurs infirmières qu’elle connaissait bien, abattues avec les blessés français qu’elles transportaient dans un village repris par une division SS …
En 1945 Hélyette fut une des premières femmes à être nommée Officier dans l’armée française avec le grade de Sous-Lieutenant (La première avait été nommée en 1944). Elle fut démobilisée en 1946 et regretta longtemps de ne pas avoir pu rester dans l’armée qu’elle avait adorée.
Elle était, à sa mort, la femme plus décorée d’Ille et Vilaine :
Elle a été citée, sur le champ de bataille, à l’ordre du corps d’armée pour son un courage et son comportement admirable face à l’ennemi. Elle se trouvait presque toujours en pointe pour aller chercher les blessés en première ligne au péril de sa vie. Le général de Lattre lui a remis la Croix de Guerre avec Etoile de Vermeil.
Elle a reçu la médaille Rhin-et-Danube pour sa participation à la campagne d’Allemagne et la médaille de la Croix Rouge.
Alain Madelin, député d’Ille & Vilaine lui a remis en 1998 la Médaille Militaire.
Enfin, Jacques Chirac l’a nommée chevalier de La Légion d’Honneur en décembre 2000, décoration prise sur la ‘réserve personnelle’ du Président de la République. C’est Stanislas de La Cropte de Chantérac, son cousin qu’elle était allée voir sur son lit d’hôpital en Allemagne en 1945, qui lui en a remis les insignes en avril 2001, à Bruc s/Aff devant tout le village réuni.
A la mort de son père le 31 Décembre 1946, Bruc s/ Aff (500 habitants) ayant perdu son Maire, on vint chercher Hélyette pour lui demander de présenter une liste aux élections municipales puisque, depuis 1945, les femmes pouvaient voter et être élues. Elue haut la main, elle était sûre d’être Maire. Mais le Recteur, qui à l’époque avait encore du poids dans cette Bretagne profonde, voyait d’un mauvais œil qu’une femme prenne le pouvoir et fit discrètement pression. Contre toute attente, il lui manqua une voix pour devenir Maire.
Elle démissionna sur le champ, se présenta au Conseil Général d’Ille et Vilaine, fut élue vice-présidente et réélue pendant plus de 20 ans.
De 1947 à sa mort en 2004, Hélyette resta à La-Boulaye et fonda un élevage de poulets avec sa jeune sœur Galhiane. Cet élevage devint dans les années 1960 un des plus grands, sinon le plus grand élevage de poulets de Bretagne et elle le dirigea jusqu’à sa mort.