Louis-Joseph et Jean l’archiprêtre, avaient trois autres frères parmi lesquels François-Paul de La Cropte de Chantérac, connu comme seigneur de Beauvais.
François-Paul épouse en 1653 Marie-Charlotte Martel, veuve d’un premier mariage.
Il était, paraît-il, d’une extrême violence ; aussi, après quelques semaines de vie commune, il abandonna sa femme qui, le 17 février 1654, était judiciairement déclarée séparée de biens d’avec lui.
Engagé dans le parti de la Fronde comme premier écuyer du prince de Condé, il suivit celui-ci aux Pays-Bas, et mourut à Bruxelles le 23 décembre 1654 dans un duel au pistolet engagé par lui pour une question de préséance sans grande importance.
Sa femme Charlotte, née dans une famille calviniste, s’était convertie au catholicisme. En rupture avec sa famille restée protestante, elle se retire en 1659 dans un monastère avec sa fille Uranie, née le 31.01.1654. Elle y meurt en 1666, demandant par testament que sa fille y demeure jusqu’à sa majorité. (21 ans)
Lorsqu’Uranie atteint l’âge de 15 ans, un conseil de famille décide de l’émanciper mais elle reste toutefois confiée au couvent jusqu’à ses 18 ans. Elle a 24 ans en 1678 lorsque son oncle, le comte de Fontaine-Martel, la fait venir à la cour et la place comme fille d’honneur de la Princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV et duchesse d’Orléans.
Source : Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, 1891, p353
Uranie est très belle et très vertueuse. Elle était, dit Saint-Simon, belle comme le plus beau jour et vertueuse ; brune avec ces grands traits qu’on peint aux sultanes et à ces beautés romaines, grande, l’air noble, doux, engageant.
La Princesse Palatine rapporte dans ses mémoires que Louis XIV, qui a 41 ans et n’a pas encore installé la cour à Versailles, fait des avances à Uranie qui lui résiste. Il séduira finalement une autre de ses demoiselles d’honneur : Marie Angélique de Scorailles, de 6 ans l’aînée d’Uranie, qui sera sa dernière favorite, et qu’il élèvera au titre de Duchesse de Fontanges en guise de cadeau d’adieu.
Source : Saint-Simon, Mémoires, t. Il, p. 387
Uranie s’éprend du prince Louis-Thomas de Savoie. Elle a 26 ans.
Louis-Thomas de Savoie est le fils du Prince Eugène de Savoie et d’Olympe Mancini, nièce de Mazarin. Il aurait été dit-on un fils naturel du Roi-Soleil et deviendra comte de Soissons. Il n’a que 23 ans et l’âge de la majorité est de 25 ans.
Leur mariage est d’abord célébré en secret en 1680 contre la volonté des familles. Trois ans plus tard, à la majorité de Louis-Thomas, il sera ratifié à Paris par Fénelon et approuvé par le Roi qui accorde même au jeune prince une pension de vingt mille livres.
Mais la maison de Savoie s’engage au service de l’empereur d’Autriche. En 1695, Louis-Thomas quitte la France pour l’Allemagne. Uranie l’y rejoint.
En novembre 1700 Charles II de Habsbourg, roi d’Espagne, meurt sans descendance, ayant désigné par testament comme son successeur Philippe, duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, alors âgé de 17 ans. Il est couronné sous le nom de Philippe V et est l’ancêtre de l’actuel roi d’Espagne.
Lorsqu’en 1701 Louis XIV reconnaît le droit de son petit-fils Philippe V à lui succéder à la couronne de France, les autres dynasties européennes se sentent menacées. La guerre commence en Italie, où Léopold de Habsbourg envoie le prince Eugène de Savoie, jeune frère de Louis-Thomas, qui remporte des victoires contre la France.
L’Angleterre, l’Autriche et les Pays-Bas s’allient contre la France et l’Espagne. La guerre ne se terminera qu’en 1713 avec le Traité d’Utrecht : Philippe d’Anjou est reconnu comme roi d’Espagne mais renonce à ses droits de succession au trône de France.
Le mari d’Uranie, qui a rejoint son frère au service de l’empereur d’Autriche, meurt dans une bataille contre le Roi de France au début de ce conflit, en 1702.
Pour Uranie, la vie a basculé. A la mort de son mari, elle rejoint la Cour de Savoie, mais elle y est reçue plus que froidement. On lui assigne pour résidence un couvent aux environs de Turin avant de l’expulser et de la reconduire à la frontière française.
Elle n’y est pas la bienvenue : le duc de Savoie et le prince Eugène viennent d’envahir la Provence et ont mené une offensive sur Marseille. Louis XIV lui donne l’ordre de se retirer dans un couvent de Lyon.
Peu à peu, la surveillance à laquelle elle fut d’abord soumise se relâche, et elle est autorisée à rentrer à Paris.
Les biens de son mari ont été confisqués. Heureusement pour elle, la Princesse Palatine lui accorde une pension de douze mille livres. Elle se retire dans un couvent rue de Bellechasse où elle meurt le 14 novembre 1717 à l’âge de 61 ans, « point vieille, et encore belle comme le jour » écrit Saint-Simon.
Triste histoire en définitive que celle d’Uranie qui eut six enfants, mais un seul petit-fils qui fut emporté par la maladie à l’âge de 20 ans …
Pire, le duc de Saint-Simon écrit dans ses mémoires qu’elle est une bâtarde, et la Marquise de Sévigné relaye l’information …
En réalité, Saint-Simon aurait confondu Uranie de La Cropte qui portait le titre de La Cropte-Beauvais avec Catherine Bellier, baronne de Beauvais, une des premières maîtresses de Louis XIV …
Saint-Allais rectifie 150 ans plus tard :
” Il y en a même qui ont prétendu qu’elle était fille de madame Beauvais, première femme de chambre de la reine Anne d’Autriche, de qui il est parlé, ainsi que du baron de Beauvais, son fils, dans les Mémoires de Saint-Simon. La famille d’Uranie de La Cropte et celle de madame Beauvais, n’ont jamais eu rien de commun….
“Cette noble demoiselle, que l’amour éleva au rang de princesse de la maison de Savoye, s’en montra digne par la pratique de toutes les vertus. Ni l’envie ni la malignité ne purent trouver de prétexte à attaquer sa réputation, à une époque où peu de femmes distinguées en furent à l’abri. Son mariage même ne produisit qu’une épigramme plus mauvaise que méchante :
Pauvre Uranie, hélas ! Tu n’es pas assez sotte,
Pour quitter à regret le nom de ta maison,
En dépit du bon sens, sans rime et sans raison,
Un prince savoyard, aujourd’hui te décrotte.
Borel d’Hauterive prend également la défense d’Uranie dans l’annuaire de la Noblesse de 1856 (pages 343 à 346) et conclut :
« De tout ce que raconte le duc de Saint-Simon sur la comtesse de Soissons, il ne reste de constant que sa beauté et sa vertu. En rendant hommage à cette « vertu inébranlable », il se rencontre avec Fénelon qui, dans une de ses lettres, dit « qu’il la respectera toute sa vie. »
Uranie retrouva heureusement, dans la famille de Chantérac, les soins et l’affection qui adoucirent l’amertume de l’isolement où elle passa les dernières années de sa vie. Elle écrivait peu de temps avant sa mort à son cousin David-François : « Je vous félicite d’être ensemble ; je suis persuadée que le plus grand bien de la vie est une famille unie, remplie de vertus et de mérites, comme vous êtes tous. Dieu vous fasse goûter longtemps cette félicité. »
Source : Lettre citée dans le bulletin de la société d’histoire de France de 1855 (p 205 et suivante) comme faisant partie des archives de la famille Chantérac