Charles, dernier évêque d’Alet

Charles, né le 6 avril 1724 au château de Chantérac sous le règne de Louis XV, est le fils de Françoise de Bourdeilles et le petit-neveu de l’abbé Gabriel, secrétaire de Fénelon.

Il est baptisé comme ses quatre frères et ses trois sœurs dans l’église de Chantérac. Elevé par un précepteur vivant au château, le jeune Charles est préparé de bonne heure à l’état ecclésiastique : Il n’a que 9 ans lorsque son oncle Jean-François de La Cropte de Bourzac, évêque de Noyon (Cf. plus haut) l’appelle auprès de lui et le nomme Chanoine de sa cathédrale.

Jeune adulte, il entre au Séminaire Saint-Sulpice à Paris le 19 octobre 1742. Ce collège très réputé fondé après le concile de Trente par Jean-Jacques Olier veut donner aux futurs hommes qui se destinent au sacerdoce une formation et une vie spirituelle nourrie de l’Ecriture et très soutenue par la prière personnelle et collective.

Il poursuit ensuite ses études à la Sorbonne où il obtient son doctorat de théologie. Ordonné prêtre, il est rappelé par son oncle pour être nommé vicaire général de Noyon, titre qui était alors nécessaire pour pouvoir être nommé évêque.

En 1754, il quitte Noyon pour devenir vicaire général du district de Moulins pour le Diocèse d’Autun. Il est aussi Supérieur Général des Carmélites de l’arrondissement.

Député du clergé à l’assemblée du clergé de Paris, il reçoit du cardinal de la Rochefoucauld, son Président, la commande de la riche abbaye royale de Serry (aujourd’hui Séry), située dans le diocèse d’Amiens, qu’il conservera jusqu’à la suppression des biens ecclésiastiques. Cela lui permettra d’entreprendre les constructions qui marqueront sa longue carrière sur le siège épiscopal d’Alet

Il hérite aussi du Château du Cluzeau, anciennement Tirapeau, près de Libourne en Dordogne, bâti au 16ème sc. par un sieur de Cluzeau. La famille de Cluzeau, puissamment riche, possédait encore le château en 1653.

On pénétrait dans la cour intérieure par une porte cintrée, couronnée par une guérite ou donjon à mâchicoulis. Les abords étaient protégés par un large fossé. Au nord, deux tours circulaires surmontées d’un toit conique avec girouettes. Au sud, une motte plantée de bois taillis et de haute futaie formée avec les terres extraites des fossés.
Le château a bien entendu subi diverses modifications, Les fossés ont disparu et la butte Sud, arasée en 1840, a disparu.
Source : Histoire de Libourne et des autres villes et bourgs de son arrondissement, Raymond Guinodie, 1845, t2, p 119/120

Séry et Cluzeau sont aujourd’hui tous deux gîtes de France. 

A 38 ans, Charles devient évêque et comte d’Alet, dans l’Aude. Il laisse la place de Trésorier qu’il occupait à son cousin, Pierre de La Cropte de Frampalais, un très lointain cousin d’un rameau de la branche La Cropte de Bourzac. Nommé le 2 janvier, consacré le 19 juin 1763 à Notre Dame de Paris, il prête serment de fidélité au roi Louis XV comme il est d’usage le 21 juin.
Source :  Epigraphie de Notre Dame de Noyon, par E Laurain, Laval, 1941, p252

Alet, à 26 kilomètres au sud-ouest de Carcassonne et dont l’étymologie, « Electus » signifie « lieu choisi » est un petit évêché qui avait été créé à la fin de la période cathare pour une plus grande présence de l’Eglise.

Alet était déjà connu à l’époque gallo-romaine pour ses sources thermales. Au Moyen-Age, une petite abbaye y est fondée qui adopte quelques années plus tard la règle bénédictine et donne sa prospérité à la ville. Une église abbatiale est construite de style roman avec un cloître, une salle capitulaire et des bâtiments conventuels.

Au 13ème siècle, Alet est en pays cathare. Les Cathares qui avaient six évêchés en Languedoc, considéraient qu’il existe deux principes supérieurs : le bien (Dieu) et le mal (Satan). La création imparfaite du monde relève du mal et les hommes doivent s’extraire de leur prison charnelle par une vie de pauvreté et de renoncement pour atteindre la perfection spirituelle et retourner à Dieu. Ceux qui se destinent à l’Etat religieux, les ‘Parfaits’, pratiquent une vie d’ascète. Les Cathares ne reconnaissent qu’un seul sacrement, le consolement, qui apporte le Salut.

De 1208 à 1229, la croisade contre l’hérésie cathare, connue sous le nom de croisade des Albigeois et menée par Simon de Monfort, entraîne la disparition progressive du monastère d’Alet.

Le 18 février 1318 Alet est érigée en diocèse par démembrement de l’archidiocèse de Narbonne par une bulle en Avignon du Pape Jean XXII pour lutter définitivement contre l’hérésie cathare.

Au XVI° siècle, Alet sera encore marqué par les guerres de religion : les Huguenots occupent la ville pendant dix ans. Ils incendient la cathédrale en 1577 et continuent de ruiner l’abbaye.

L’abbé Lasserre, prêtre d’Alet, dont le père, juge au tribunal civil de Limoux, avait acheté au lendemain de la Révolution la propriété de Castillon , ancienne résidence privilégiée de Mgr de Chantérac, rédigera en 1877 une courte biographie de Charles et le décrit ainsi :

« Le nouvel évêque eut bientôt fait la conquête de tous les cœurs par sa bonté, sa douceur et une noble simplicité qui le rendait accessible à tout son troupeau. Les pauvres n’étaient pas oubliés. Tous les jours à la porte de l’Evêché on leur distribuait des aliments préparés qu’ils recevaient dans des écuelles. L’évêque d’Alet jouissait d’une santé parfaite qu’il conserva jusqu‘à sa mort grâce à sa vie simple et frugale. Monseigneur de Chantérac était encore un prélat fort mortifié. Il ne s’approchait jamais du feu et lorsqu’il sentait ses membres engourdis par le froid, il descendait au jardin pour se réchauffer en marchant. A ces grandes qualités de cœur, l’Evêque d’Alet joignait une politesse et une distinction qui en faisait le type achevé du véritable gentilhomme. ».

Source :
http://rennes-le-chateau-en-quete-de-verite.e-monsite.com/accueil/page-25.html, avril 2017

Charles poursuit pendant 30 ans la grande activité de bâtisseur de son prédécesseur, Nicolas Pavillon, et les experts débattent encore en comparant leurs mérites.

Un article consacré à Nicolas Pavillon conclut sans rien enlever à l’estime qui est due à ce dernier :

[…] Nicolas Pavillon fut bien loin d’être le constructeur que d’aucuns ont voulu voir en ce pauvre prélat. Et en tout cas, sûrement pas le plus grand bâtisseur des 35 évêques d’Alet. A cette aune, c’est sans conteste Mgr de Chantérac qui doit obtenir ce titre.

Charles fait construire un nouvel hôpital. L’église abbatiale qui devient l’Evêché est agrandie. L’église paroissiale Saint-André (fin XIVème) est reconstruite pour les habitants de la ville. Puis en accord avec les administrateurs civils des lieux, l’Evêque lance un projet de grande envergure : l’ouverture d’une route reliant Limoux à Quillan. Il fait restaurer la cathédrale Saint-Benoît et reconstruire une partie de l’Evêché qu’il dote d’une nouvelle chapelle.

Il n’aura pas le temps d’entreprendre la restauration de l’église Saint-André où reposent les cendres des Religieux, des abbés du monastère et des premiers évêques d’Alet.

La révolution et l’Eglise

Sous l’Ancien Régime le Catholicisme est Religion d’Etat. Le Clergé est le premier Ordre dans la hiérarchie sociale avant la noblesse et le Tiers-Etat. En dehors du culte et de l’organisation des grandes fêtes religieuses, les prêtres se chargent de l’instruction publique depuis les écoles primaires jusqu’à l’Université et de l’Etat Civil. Ils gèrent aussi l’entretien des hôpitaux, des hospices et des orphelinats. Les évêques prêtent serment de fidélité au roi.

  • 1789 : nationalisation des biens du clergé

A partir de 1785, le pays vit une crise économique sans précédent aggravée par le coût de sa participation aux guerres d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. L’endettement contraint Louis XVI à convoquer les Etats Généraux le 17 juin 1789, ce qui n’était pas arrivé depuis le XVIIème siècle. Le Tiers-Etat se proclame Assemblée Nationale et le Roi demande aux deux autres ordres d’y participer. Ainsi naît en juillet l’assemblée constituante. Tout va très vite : elle instaure aussitôt une monarchie constitutionnelle, abolit les privilèges le 4 août et décrète le 2 novembre 1789 la mise à disposition de la nation des biens du clergé afin de rembourser la dette.

  • 1790 : constitution civile du clergé

Un an plus tard, le 12 juillet 1790, l’assemblée constituante adopte la constitution civile du clergé. Le clergé séculier assimilé aux fonctionnaires devient salarié par l’Etat et doit prêter serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi. Une Eglise Constitutionnelle est ainsi censée remplacer l’église catholique Romaine.

Le pape déclare l’église constitutionnelle schismatique le 10 mars 1791

On estime à sept évêques dont quatre seulement à la tête d’un diocèse le nombre de ceux qui prêteront serment à la Constitution Civile du Clergé. Les 150 autres évêques dits « réfractaires » prendront le chemin de l’exil ou seront guillotinés.

  • 1792/93 : persécution et terreur

A partir de 1792 commence une période de déchristianisation organisée par le gouvernement révolutionnaire avec la fermeture des églises et la destruction des symboles religieux. Les congrégations religieuses sont supprimées en août 1792. La tentative de l’Autriche et de la Prusse de restaurer par la force la monarchie absolue en France, arrêtée à Valmy en septembre 1792 conforte encore le pouvoir des révolutionnaires les plus durs.

Le calendrier républicain de 12 mois de 30 jours complétés de 5 ou 6 jours fériés appelés les sans-culottides commence le 22 septembre 1792. Il abolit les fêtes de l’Eglise et supprime les noms des saints pour en effacer le souvenir. Le 25 décembre par exemple est consacré au chien ; le 6 janvier, jour de l’Epiphanie, à la pierre à chaux et le 1er novembre, fête de la Toussaint, aux salsifis.

1793 constitue le pic de la Terreur. Un décret du 23 avril 1793 prononce la peine de mort avec exécution dans les 24 heures à l’encontre de tout prêtre non assermenté. Le 10 novembre 1793, le culte de la raison est intronisé à Notre Dame de Paris. Quelques jours plus tard toutes les églises sont fermées.

Charles, évêque « réfractaire »

En 1791, comme la plupart des évêques de France, Charles refuse de prêter le serment constitutionnel, suivant en cela son cousin Monseigneur de Bourdeilles, évêque de Soissons, qui publie une lettre pastorale le 15 octobre 1790 dans laquelle il écrit : « Je déclare que toutes formes de gouvernement et toutes organisations du pouvoir ecclésiastique émanant de la seule puissance temporelle ne peuvent faire partie intégrante d’une constitution politique. »

Lorsqu’en 1792 commence la période de persécution, il quitte le palais épiscopal pour se cacher et vit en ville avec sa sœur Elizabeth, célibataire, qui l’a rejoint. C’est en secret qu’il rencontre ses paroissiens et célèbre chaque jour la messe.

Le 25 janvier 1792 les autorités civiles ferment la Cathédrale d’Alet. C’est le dernier lieu de culte de la nouvelle République de France à fermer ses portes.

Le 1er septembre 1792 Charles se résout à l’exil. Il quitte Alet de nuit, avec une partie de son clergé. Ils s’arrêtent quelques jours à Puigcerda et à Vich et arrivent le 9 octobre à Sabadell, petite ville de 2.300 habitants proche de Barcelone.

Il est bientôt obligé d’interrompre toute communication avec sa sœur Elizabeth âgée de 84 ans restée à Alet.

L’acquéreur de l’évêché, jacques-François Dellac, officier de santé de la ville d’Alet, laissa à celle-ci la jouissance de l’aile qu’elle occupait dans le palais épiscopal, du midi depuis le grand cabinet jusqu’à la petite orangerie, en contrepartie de quoi elle lui légua tous ses meubles devant notaire.

Louis-Charles de la Cropte, chevalier de Chantérac, neveu de Charles et Elisabeth et frère de Gabriel , résidait aussi habi­tuellement à Alet. Il était officier de cavalerie et gouverneur de la ville d’Alet.

Certains chercheurs supposent que le trésor de Rennes-le-Château, douze kilomètres au sud d’Alet, qui défraya la chronique lorsque l’abbé Saunières fit curieusement fortune à la fin du XIXème siècle, aurait notamment été constitué des biens de l’évêché d’Alet et de ceux de l’évêque lui-même, cachés par le clergé avant son exil. Louis-Charles aurait même pu se charger de l’expédition d’Alet à Rennes-le-Château. Rien n’a semble-t-il permis jusqu’à maintenant de valider cette hypothèse.

Son installation à Sabadell et les circonstances édifiantes de sa mort sont connues par les mémoires du Dr Antonio Bosch y Cardellach, médecin de 1’évêque et secrétaire du Conseil Municipal.

Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793. Charles de Chantérac meurt brutalement le 27 avril suivant, six mois après son arrivée. Il est inhumé dans l’église Saint-Félix de Sabadell.

Il restera le 35ème et dernier évêque d’Alet. L’évêché sera supprimé après la révolution.

Sources :
– Bulletin XIX de la Société Historique et Archéologique du Périgord. – Eléments rapportés par M de Cumond le 04.08.1892
– http://renneslechateau-fr.com/
– Archives de la Municipalité de Sabadell, dont le texte complet a été publié en avril 1944 dans la Revue d’Action Catholique de cette paroisse

En juillet 1909 l’Espagne est secouée par des émeutes provoquées par un décret de mobilisation des réservistes pour envoyer des troupes au Maroc. A Barcelone, le mouvement est particulièrement violent. La loi martiale est proclamée, des barricades se dressent dans les rues et des affrontements ont lieu avec l’armée. L’Eglise qui soutient le gouvernement devient la cible des émeutiers.

La semaine du 26 juillet au 2 août reste connue comme « la semaine tragique ». Dix-huit églises, dont celle de Sabadell sont incendiées par les émeutiers. La tombe de l’évêque est profanée et ses restes jetés à la rue. Une personne pieuse recueillit la tête et quelques ossements qui furent déposés sous le maître autel de la nouvelle église.

En juillet 1936, lors de la révolution qui marque le début de la guerre civile espagnole, l’église est à nouveau incendiée, mais son pavement ne subit aucune détérioration, si bien que ces restes doivent encore reposer sous le maître autel de l’église restaurée.

Sabadell a posé le 11 octobre 1959 une plaque commémorative dans l’église Saint-Félix en présence du curé de la paroisse d’Alet et d’une vingtaine de représentants de la famille après une messe présidée par l’abbé Gaëtan de Chantérac. « Un acte du cœur, un acte de réparation pour les méfaits accomplis aux jours sombres de la folie et de la haine » dira sur place le chanoine Rougé, prêtre du diocèse de Carcassonne.

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