Hypolite (1) et Edouard (2), les deux fils de Gabriel, émigrent tous les deux en 1790 avec leur instituteur, un certain Lamarre « pour perfectionner leur éducation dans les pays étrangers ». Ils ont alors respectivement 17 et 15 ans.
‘ Le Chantérac qui habitait le château [Il s’agissait sans doute des deux frères] émigra. Il y a peu encore, le souvenir en était resté dans le pays. En 1965, une vieille femme du hameau de Villaret, belle-mère d’Augustin Cabrol, déclarait que son grand-père, à moins que ce fût son arrière-grand-père, lui racontait — mais peut-être y eut-il un maillon de plus dans la transmission de cette tradition orale — avoir accompagné ce Chantérac sur le chemin de l’émigration jusqu’à Montmoreau en Charente. En récompense, l’émigré lui fit don de sa montre que cette vieille personne assurait avoir vue dans sa jeunesse.’
Source : Yves Guéna, déjà cité
Ils parcoururent d’abord le midi, restèrent deux mois dans les Pyrénées, sans doute à Alet auprès de leur grand-oncle Monseigneur Charles et de sa sœur Elisabeth, séjournèrent quelque temps en suisse, puis à Rome, Florence et Naples, et se séparèrent en 1791 ou 1792.
Source : Archives nationales, cotes BBI 90, F 7 5039, 118, 116, 5791, 5866, 5980, citées par Alain de Chantérac
(1) L’orthographe d’Hypolite varie selon les sources. Celle retenue ici est celle qui figure sur son acte de décès.
(2) Saint Allais cite comme prénoms Louis-Charles-Hypolite-Stuard, et non pas Edouard
Hypolite, l’aîné, prend la direction de l’Allemagne pour rejoindre l’armée de Condé dans laquelle il fait toutes les campagnes, ce qui lui vaudra d’être nommé chevalier de l’ordre du Phénix de Hohenlohe.
Cet ordre fut décerné à des officiers allemands et français ainsi qu’à des émigrés de valeur ou méritants de l’armée de Condé ayant servi dans les régiments de Hohenlohe, du nom de la famille princière Allemande.
L’armée de Condé fut réunie par Louis V Joseph de Bourbon-Condé, cousin de Louis XVI. Elle fut, avec l’armée des Princes et le corps du Duc de Bourbon, une des trois armées d’émigrés engagées pour le rétablissement de la monarchie. Ces deux dernières furent dissoutes en 1792. L’armée de Condé se maintint jusqu’en 1801 quand elle fut dissoute par ordre des Anglais qui avaient assuré son financement.
L’armée de Condé servit essentiellement comme auxiliaire de l’armée autrichienne, et un temps dans les rangs de l’armée russe. Tiraillés entre leur patriotisme monarchique et la nécessité de servir aux côtés et sous l’autorité des Anglais, des Autrichiens ou des Russes, les émigrés peinaient à trouver leur place.
L’histoire retient surtout que, composée pour beaucoup de nobles et de personnes de la grande bourgeoisie, elle manquait d’hommes.
Lors de sa dissolution, la plupart des émigrés choisirent alors de rentrer en France, mais rien ne le confirme pour ce qui concerne notre Hypolite. Dans deux procurations en faveur de sa femme enregistrées en 1829 chez Maître Gillet notaire à Marseille, il est mentionné qu’il habite à Marseille.
Edouard, le cadet, qui avait été présenté en 1789 pour être reçu chevalier de justice de l’ordre de Malte « dans la vénérable langue de Provence » dit Saint-Allais, émigre à Malte et s’y marie avec Vincense de Mallia. Leurs deux premiers enfants naissent à Malte en 1798 et 1799. Le troisième, qui ne vivra que quelques semaines, naît en septembre 1805 à Marseille.
Edouard faisait partie du conseil ordinaire de Saint-Jean de Malte lorsque Bonaparte prit Malte en 1798, sonnant le glas de la souveraineté de l’Ordre de Malte sur l’île. Cette installation française est de courte durée car le 5 septembre 1800, les Anglais prennent possession de l’île – à qui ils ne rendront son indépendance qu’en 1964 !
C’est sans doute ce reversement de situation qui pousse Edouard à revenir en France.
Hypolite et Edouard n’avaient sans doute plus aucune ressource.
La tradition orale de certaines branches veut qu’Hypolite soit revenu ruiné, ce qui n’est pas invraisemblable après presque 10 ans de campagnes. Cela semble d’autant plus vraisemblable qu’il n’a pas laissé de testament et que sa succession a été déclarée par son neveu Bonaventure.
Les biens des émigrés avaient été confisqués comme biens nationaux et la plupart revendus. Le château et les terres de Chantérac ne firent pas exception à la règle. Ils furent vendus nationalement le 21 germinal an 2 (10 avril 1794) et adjugés à Antoine Gélibert pour 56000 francs.
Il est vraisemblable qu’Hypolite et Edouard bénéficièrent de la loi de 1825 dite du milliard aux émigrés qui accorda une indemnisation aux émigrés dont les biens vendus avaient été confisqués comme biens nationaux. 630 millions de francs furent distribués sous forme de rentes de 3 %. Hypolite donne en effet à Edouard en 1829 une procuration devant notaire pour notamment « procéder à la fixation des parts division ou partage de la rente inscrite sur le grand livre sous le nom Chanterac-frères et à eux accordée pour leur indemnité, comme émigrés dépossédés »
Bonaparte, sous le consulat, accordera l’amnistie générale aux émigrés par le Sénatus-consulte du 6 floréal an X (25 avril 1802) qui précisait que les émigrés rentreraient en possession de leurs biens qui étaient encore entre les mains de la nation, à l’exception des forêts et des immeubles affectés à un service public ;
Le château de Cluzeau qui appartenait à leur grand-oncle, Monseigneur Charles, et qui avait été saisi lors de son émigration fut ainsi restitué à ses héritiers par arrêté du préfet de la Gironde du 3 brumaire an XI (25 octobre 1802). La ville de Libourne qui en avait le gouvernement l’avait utilisé comme hôpital et comme caserne.
Hypolite et Édouard le revendirent avec ses dépendances en 1837-38.
Mais les biens nationaux qui avaient été revendus restaient acquis à leurs acheteurs ; C’était le cas du château de Chantérac dont les terres avaient été dispersées tandis que le château lui-même avait été habité comme simple ferme.
Sources :
Archives de la Dordogne. Q 548, N°23.
Archives départementales des Bouches du Rhône, cote 353E229, retrouvé par Guy de Chantérac
Histoire de Libourne et des autres villes et bourgs de son arrondissement, Raymond Guinodie, 1845, t2, p 120
Yves Guéna écrit en 1980
« On racontait encore il y a peu dans le pays [qu’] en partant en émigration, le Chantérac de l’époque aurait enfoui sa fortune en un lieu secret et en aurait averti ses descendants.
Victor de Chantérac, envisageant en 1850 de racheter le château, aurait demandé à visiter seul la maison afin de s’assurer que le trésor était toujours à sa place, ce qu’il constata, dit-on. Et c’est ainsi qu’il aurait racheté Chantérac sans bourse délier. Ce récit nous a été fait assez récemment. Mais il n’y en eut jamais aucun écho dans la famille. C’est évidemment une fable. »
Le fait qu’aucun autre des quatre garçons de cette génération ne se soit intéressé à « l’affaire » laisse présumer que c’est en effet une fable.